Ce texte est extrait de l'article https://afdm.apmep.fr/rubriques/eleves/des-murs-pedagogiques-pour-travailler-loral-en-classe/
Introduction
Ouvert dans le cadre du plan Villani-Torossian en 2018, le laboratoire de mathématiques de Trappes a, depuis, centré son activité de recherche autour de la problématique de l’oral en cours de mathématiques. Comme préconisé par le rapport Mathiot [1], l’oral prend une place fondamentale dans la réforme du lycée, place reconnue dans le cadre du nouveau baccalauréat avec l’épreuve du Grand Oral.
S’il est clair qu’une telle épreuve doit être préparée tout au long de la scolarité de l’élève, il n’est pas toujours évident de construire des parcours qui permettent l’acquisition et le développement de cette compétence dès le collège puis au lycée.
Dans la brochure « Des pistes pour la prise de parole en cours de mathématiques », nous distinguons trois typologies de productions orales.
Oral préparé
Vu comme « tout type d’activité de prise de parole conçue par les élèves avec un temps de préparation au préalable sur un sujet donné en amont. C’est une typologie d’oral déjà présente dans beaucoup de cours de mathématiques qui constitue une entrée relativement simple à la problématique d’animation d’une activité de prise de parole ».
Oral non préparé
Vu comme la capacité de verbalisation mathématique par les élèves lors d’un cours ou d’une activité sans qu’il y ait de temps de préparation en amont.
Travail oral personnel
de l’élève qui correspond souvent à des moments de travail à la maison visant la réalisation d’une tâche mathématique avec un rendu complètement oral ou qui en contienne une partie conséquente.
Un des aspects les plus problématiques du travail de l’oral en cours de mathématiques demeure la verbalisation par les élèves durant le cours. Nous ne parlons pas ici de la prise de parole de l’élève qui pose ou qui répond à une question : ces modalités sont présentes dans la plupart des cours et leur efficacité relève surtout de considérations de gestion de classe et d’animation du groupe.
Description du scénario
Le scénario pédagogique suivant a été testé avec des classes de niveaux et effectifs différents : des classes de seconde de 31 élèves et des groupes de première de 23 élèves.
Au lycée Plaine de Neauphle, certaines salles ont été équipées de tableaux blancs collés aux murs (d’où le nom de « murs pédagogiques »). La contrainte matérielle d’achat et installation des tableaux peut être contournée en collant des feuilles A3 ou en récupérant des « paperboard ».
En début de séance, les élèves sont répartis en groupes de quatre ou cinq. Chaque groupe s’installe face à l’un des tableaux, par exemple en disposant les tables en « fer de cheval » en constituant, ainsi, une « mini-classe ». Les élèves ont un temps imparti pour résoudre un exercice ou un problème en notant au tableau la résolution ; le sujet diffère pour chaque groupe.
Figure 1. Organisation en classe
À la fin du temps imparti, les groupes tournent et les élèves s’installent face au tableau suivant à l’exception d’un élève, choisi en concertation au sein de son groupe ou par l’enseignant. Il accueille ses camarades pour leur expliquer oralement le problème résolu par son groupe en s’appuyant uniquement sur les notes écrites au tableau. Les élèves spectateurs prennent des notes, posent des questions, voire corrigent la solution proposée s’ils pensent qu’elle présente des erreurs.
Ce déroulé de base se prête à nombres de variantes, en voici deux :
Cette séance peut être envisagée sur une ou deux heures de cours. Nous pensons qu’une durée de deux heures peut être utile les premières fois, quand les élèves ne se sont pas encore familiarisés avec le dispositif. Les expérimentations menées montrent qu’une durée d’une heure est tout à fait adaptée pour des classes qui se mettent vite au travail.
Analyse a priori d’une séance
En annexe 1, nous montrons un sujet proposé à un groupe d’élèves de première sur le thème de la dérivation. Il est composé de trois exercices de différents types visant le travail de l’oral dans trois contextes pédagogiques :
Cette structure riche en compétences travaillées implique une composition des groupes de travail en groupes de niveaux homogènes ou hétérogènes, de sujets différenciés ou non selon les groupes.
Nous soulignons que cette modalité nécessite une ambiance de classe très propice au travail et qu’une bonne gestion de classe est nécessaire en amont. Dans tous les cas, l’acceptation d’un niveau sonore plus élevé que d’habitude dans la classe est nécessaire. En effet, le « bruit » ne correspond pas à une forme d’agitation et de perturbation, mais il est la conséquence d’une modalité de travail.
Retombées en classe
Si la place de l’oral non préparé dans une séance de ce type est manifeste, la question de la quantification de son efficacité demeure légitime. Répondre à la question « Que reste-t-il à l’élève après ? » doit passer par une réflexion sur le rôle de l’enseignant et de son travail de préparation (prolongements en classe, institutionnalisation…).
Avec les outils actuels, les élèves peuvent facilement envoyer une photo de leur tableau à leur enseignant qui peut alors commenter leurs écrits. Le fichier est ensuite partagé avec toute la classe qui doit, pour la fois suivante, reprendre les exercices réalisés en appliquant les corrections et les conseils de l’enseignant. Ces photos peuvent aussi servir comme support dans un cours où l’enseignant mettra en place une rédaction rigoureuse d’une démonstration.
Évaluation
Si, comme on l’a vu, les productions finales peuvent être prises en photo et analysées après la séance, les productions orales des élèves sont moins facilement exploitables. En effet, non seulement elles se produisent en parallèle dans chaque groupe, mais toute intervention de l’enseignant risque de diminuer le sentiment de liberté de parole qui s’instaure dans chaque groupe. Une possibilité envisagée serait celle de l’observateur extérieur qui passe sans s’arrêter et qui écoute des extraits de conversation. En amont, l’enseignant aura préparé une fiche d’observation qui lui permettra de prendre des notes dans le but d’établir la qualité des échanges dans le groupe. La figure 2 montre un exemple d’une telle fiche d’observation. Elle a été réalisée sur la base des travaux de P. Iannone & A. Simpson (2012) en adaptant les items que les chercheurs avaient repérés :
Figure 2. Exemple de fiche d’observation
Les deux premières lignes s’intéressent à l’adéquation du sujet par rapport au groupe et aux difficultés éventuelles. La présence de notes au tableau permet à l’enseignant, tout en restant loin, de se rendre compte des points de blocage : un tableau vide au bout de dix minutes suggérera à l’enseignant que quelque chose ne va pas et qu’il faudra peut-être aider ce groupe.
Les interactions à l’intérieur du groupe peuvent se comptabiliser rapidement par des « bâtons » dont le nombre est proportionnel aux échanges constatés. Par exemple, si dans un groupe il n’y a que deux élèves qui parlent entre eux, on pourra mettre un bâton (une interaction) et ainsi de suite. Enfin, les deux dernières cases permettent de pointer des aspects de l’oral plus liés au vocabulaire mathématique et à l’enchaînement logique.
Les notes prises lors de ces observations pourront également servir de support pour une séance suivante, voire être utilisées pour créer un nuage de mots en lien avec le chapitre traité, etc.
Nous n’avons pas réalisé d’enregistrement des échanges comme cela peut se faire en cours de langue. Nous craignons que cela affecte l’authenticité des échanges… c’est une piste à expérimenter.
Rien n’empêche l’enseignant de se diriger vers des formes d’évaluations classiques en demandant des restitutions orales devant la classe ou sous forme de travail à la maison comme un powtoon (annexe 2).
Quelques aspects didactiques
Pour mettre en évidence la place de l’oral dans cette activité, nous proposons dans ce paragraphe une analyse didactique basée sur la théorie des situations didactiques de Brousseau [2].
Le schéma en figure 3, inspiré des travaux de A. Kuzniak [3], représente la situation didactique associée au dispositif pédagogique des « murs pédagogiques ».
Nous distinguons les deux phases de l’activité : la phase 1 correspondant à la partie de travail de groupe et la phase 2 correspondant à la restitution dans le scénario de base décrit précédemment. Nous appelons Oral et Oral’ l’activité orale de l’élève dans les deux phases respectivement.
En effet, ces deux pratiques ne correspondent pas aux mêmes contraintes pédagogiques. Durant la première phase, une situation qu’on peut schématiser, suivant Kuzniak, par un triangle didactique à la Brousseau, c’est-à-dire pensé à partir du point de vue de l’élève, est mise en place par l’enseignant. Ici la tension didactique est créée entre le milieu [3] du sujet, l’élève et les connaissances. Dans le cas spécifique des « murs pédagogiques », le milieu englobe non seulement les énoncés des exercices, vus dans leur caractéristique antagoniste en tant que déclencheurs d’apprentissage, mais aussi le contexte dans lequel l’élève est contraint à travailler par les consignes, notamment à travers la pratique de l’oral, et le déroulé de l’activité (groupe, tableau). La situation correspondant à cette première phase est typiquement adidactique au sens de Brousseau : elle peut être vue comme « la partie que le professeur délègue (dévolue) à l’élève » [3].
Figure 3. Schéma didactique du dispositif « murs pédagogiques »
Durant la seconde phase, l’élève qui expose la résolution de l’exercice prend une posture « d’enseignant » et le groupe d’élèves travaille à l’intérieur d’une situation où le « savoir » est possédé par l’un des participants : l’élève « ambassadeur ». Malgré l’absence de l’enseignant, cette partie ne peut pas être définie adidactique comme la précédente : un savoir identifié est transmis directement aux apprenants et la tension didactique du milieu n’existe plus de par la résolution du sujet affichée au tableau. L’aspect intéressant de cette phase est qu’elle se configure comme didactique sans que ce soit l’enseignant le passeur de savoirs. En effet, la posture de l’enseignant est extérieure aux deux situations, son rôle étant de déclencher la situation d’apprentissage au début et d’observateur après.
Le fait d’investir l’élève d’un rôle d’ambassadeur des savoirs de son groupe ne le rend pas auteur d’un contrat didactique avec ses camarades, qui restent ses pairs et par conséquent libres d’interagir (à l’oral) pour corriger ou compléter.
Dans ce contexte, la pratique de l’oral prend une place centrale de façon naturelle et nécessaire, sans une direction imposée : elle répond à un besoin intrinsèque à l’activité et qui se génère à l’intérieur du groupe d’élèves.
Enfin, le contour plus grand dans le schéma, qui contient les deux phases de l’activité, mais d’où l’enseignant est exclu, représente une membrane de confiance permettant aux élèves de libérer leur parole en s’aidant de leurs notes écrites au tableau. Ils peuvent tester des idées et comparer leurs points de vue sans que l’enseignant valide ou sanctionne chaque mot prononcé, le tableau conservant la mémoire ce qui a été dit.
Premières observations et prolongements possibles
Les expérimentations et observations menées ont été organisées à deux moments distincts : un premier temps dédié à l’étude du dispositif et aux modalités de mise en place en lien avec les thèmes à travailler et un deuxième temps d’observation des retombées en termes d’acquisition de compétences par les élèves. Ces observations ont mis en évidence les retombées pédagogiques suivantes :
Une campagne de récolte de données quantitatives, inspirée par les travaux de Clarke [4] et basée sur les fiches d’observations discutées dans les paragraphes précédents, aurait dû être initiée au printemps 2020, mais le confinement a empêché sa mise en place.
En revanche, le caractère hautement interactif du travail des élèves a trouvé une application inattendue lors du confinement. En effet, le déroulé de ce dispositif s’adapte très bien à un travail en groupes séparés tels qu’ils sont proposés par les nombreuses applications utilisées pour les classes virtuelles. Si le cours à distance a un sens avec des élèves acteurs et non simples auditeurs, ce dispositif permettra, dans l’éventualité d’une nouvelle période de pédagogie à distance, d’animer des séances virtuelles et de récupérer des productions réalisées par les élèves. De plus, la classe virtuelle permet à l’animateur de se déplacer dans les petits groupes et « d’espionner » ainsi les conversations entre les élèves.
Cet article s’est focalisé sur l’utilisation des « murs pédagogiques » au lycée. Nous sommes persuadés de son intérêt au collège et, faute d’avoir eu l’occasion d’essayer, nous sommes disponibles pour échanger par courriel avec des collègues qui voudraient se lancer !
Références
Pierre Mathiot, Un nouveau baccalauréat pour construire le lycée des possibles, 2018.
Guy Brousseau, « Le contrat didactique : le milieu », in Recherches en didactique des mathématiques n° 9 (9.3) (1990), La Pensée Sauvage, pp. 309-336.
Alain Kuzniak, « La théorie des situations didactiques de Brousseau », in L’ouvert n° 110 (2004), pp. 17-33.
David Clarke, Li Hua Xu et May Ee Vivien Wan, « Students Speaking Mathematics », in Student Voice in Mathematics Classrooms around the World, Rotterdam, Netherlands : Sense Publishers, 2013, pp. 33-52.
Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/mathematiques-premiere-specialite ou directement le fichier ZIP Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0